top of page

De l'indignation.

Plaidoyer en faveur de l’indignation nonobstant ses excès probables.


Emmanuel Kant, dans son opuscule Le conflit des facultés, écrivait, en référence à la Révolution Française : « (…) la participation passionnée au Bien, l’enthousiasme, qui par ailleurs ne comporte pas une approbation sans réserve, du fait que toute émotion comme telle mérite un blâme, permet cependant (…) de faire la remarque suivante (…) : le véritable enthousiasme ne se rapporte toujours qu’à ce qui est idéal, plus spécialement à ce qui est purement moral, le concept de droit par exemple, et il ne peut se greffer sur l’intérêt. » Il parlait un peu plus loin du zèle et de la grandeur d’âme des révolutionnaires, éveillés « en ces derniers par le pur concept du droit ». Or l’indignation n’est-elle pas le corollaire de l’enthousiasme, c'est-à-dire le sentiment moral éprouvé devant le spectacle de l’injustice, le spectacle d’une réalité qui méprise l’Idée du Droit ? Et certes, Kant, promoteur de la froide raison, n’a pas tort de souligner qu’on est là dans le domaine de la passion, qu’il faut, sinon blâmer, du moins surveiller. L’indignation, en effet, est un sentiment violent, qui peut, par conséquent, donner lieu a des excès, aussi désintéressé soit-il. Et pourtant, sans l’enthousiasme et sa sœur, l’indignation, l’humanité aurait-elle fait les quelques progrès dont elle peut se flatter ?

Pourtant, de nos jours, on assiste à une certaine condamnation de ces sentiments, ce probablement au nom de la paix civile. Pour l'enthousiasme, il faudra par exemple le cantonner aux spectacles sportifs. Pour l’indignation, du moins son expression, l’écarter, la faire taire, ou alors exiger qu’elle soit mesurée, comme si une indignation mesurée était encore une indignation. On prétextera à cet interdit que les excès de l’indignation des uns vont provoquer l’indignation des autres, et qu’on ne sortira pas de ce cercle vicieux. Cela est vrai sans doute, mais cet argument demeure formel et donc insuffisant : cela reviendrait à mettre toutes les indignations sur le même plan sans tenir compte de leur contenu, de leurs motifs. Or ne faudrait-il pas, contre ce formalisme, défendre l’idée que c’est ce contenu qui compte et qui fait que certaines indignations sont légitimes, sont de véritables indignations, parce qu’elles ont un caractère moral, quand ce n’est pas le cas des autres ? Peut-on renvoyer dos à dos des motivations humanistes et des réactions obscurantistes ?

Prenons pour exemple l’indignation que procure à certains la tenue des femmes occidentales. Ne doit-elle pas être sévèrement distinguée de l’indignation que d’autres ressentent devant ce regard posé sur une jupe ou simplement une tête nue ? Sans cette distinction, n’en viendrait-on pas à un relativisme qui repousserait l’une et l’autre indignation, et ce relativisme ne ferait-il pas le lit d’une sorte d’indifférence aux deux positions concurrentes ? Serait-ce là un résultat souhaitable ?

Quant à la paix civile, suffit-il, pour l’obtenir, de mettre le couvercle sur les profonds différends qui traversent la société, puis de regarder ailleurs ? A tout mettre sur le même plan, ne finit-on pas par encourager ce qu’il y a de pire ?

Mais il faut sans doute encore dire que l’expression de la juste indignation peut provoquer dans le camp opposé des réactions violentes, ce d’autant plus que ce camp est, dès le départ, prédisposé à la violence. L’indignation a dans ce cas la fonction de révéler ce qui n’était parfois pas exposé au grand jour. Cependant, faire sortir le loup de bois n’est pas judicieux si c’est pour le nourrir, et c’est pourquoi les excès de l’indignation peuvent, d’un point de vue pragmatique, manquer de pertinence. L’indignation doit-elle pour autant se taire ? Non sans doute, cela reviendrait à la « politique de l’autruche ». Il faudrait donc trouver la juste mesure, or cela n’est pas une tâche aisée si l’on veut garder dans le même temps la force vive et saine inhérente à ce sentiment nécessaire.




Appendice quant à certaines convictions et les "indignations" qu'elles peuvent dicter, car le monde a changé depuis Kant :


« A qui la propagande doit-elle s'adresser ? A l'intelligentsia scientifique ou à la masse la moins cultivée ? Elle ne doit s'adresser qu'à la masse ! (...) Car toute propagande doit être populaire, elle doit ajuster son niveau intellectuel en fonction de la capacité d'absorption des plus bornée de ceux qu'elle veut toucher. Aussi, plus grande sera la masse des gens à atteindre, plus bas devra être son niveau intellectuel. (...) Les masses ont une capacité d'absorption très limitée, elles comprennent peu et oublient beaucoup. Il résulte de tout cela qu'une propagande efficace devra se limiter à un très petit nombre de points et les exploiter sous forme de slogans jusqu'à ce que tout le monde, jusqu'au dernier, réussisse à voir derrière le mot ce que l'on veut lui faire comprendre. (...) La grande masse d'un peuple ne se compose ni de professeurs, ni de diplomates. Elle est peu accessible aux idées abstraites. Par contre, on l'empoignera plus facilement dans le domaine des sentiments et c'est là que se trouvent les ressorts secrets de ses réactions, soit positives, soit négatives. (...) Dans tous les temps, la force qui a mis en mouvement sur cette terre les révolutions les plus violentes, a résidé bien moins dans la proclamation d'une idée scientifique qui s'emparait des foules que dans un fanatisme animateur et dans une véritable hystérie qui les emballait follement. »

HITLER, Mein Kampf, 1926




Tag Cloud
Pas encore de mots-clés.

Les articles ici présentés peuvent être librement diffusés et commentés. Merci, cependant, de ne pas les modifier, et de citer leur auteur et ce blog quand vous les utilisez.

bottom of page